Au sein des réseaux LGBTQI+, les femmes alliées sont beaucoup plus nombreuses que les hommes. Il en est de même lorsqu’il s’agit de s’engager en faveur d’autres causes telles que le handicap ou la maladie. Quels sont les freins à l’engagement des hommes hétérosexuels et cisgenres ? Pour le savoir, nous leur avons posé la question.
Par Chloé Consigny
Sikou Niakaté est l’auteur d’une autofiction intitulée « Dans le noir, je crie ». Dans ce livre, il revient sur son enfance dans un quartier populaire et interroge les codes de la masculinité. « Quand on est dépossédé économiquement, en tant qu’homme, la seule chose que l’on possède c’est son corps. Il faut donc que l’on excelle sportivement. Il faut savoir se battre. Pas forcément pour être violent, mais surtout pour dissuader », explique-t-il.
Silence émotionnel
La violence semble ainsi inhérente à la masculinité et la concurrence entre les hommes est féroce. Impossible, dans ces conditions, de laisser paraître une quelconque émotion. Au sortir d’une relation amoureuse, Sikou Niakaté s’est interrogé sur les émotions au masculin dans un documentaire baptisé « dans le noir, les hommes pleurent ». « Entre hommes, on ne parle jamais de la sphère intime. J’étais à un moment de ma vie où j’avais besoin de réponses. J’ai demandé aux hommes de mon entourage de témoigner. Ils se sont beaucoup livrés et j’ai pu alors constater le désarroi des hommes vis-à-vis de leur monde intime. À mon sens, cela peut expliquer énormément de choses sur la violence. Les garçons sont les premières victimes d’une violence qui leur est faite. À 7 ans, ils comprennent qu’ils doivent se métamorphoser et renoncer à leur part intime ».
Corps masculins
L’image attendue de la virilité est celle d’une maîtrise de ses émotions. « Ce n’est pas la testostérone qui rend indisponible émotionnellement », abonde Léon Salin qui, né dans un corps féminin, a transitionné pour rejoindre son genre ressenti. Il explique : « la prise de testostérone ne m’a pas empêché de pleurer. Néanmoins, j’ai vite compris que ce n’était pas attendu d’une personne de genre masculin. J’ai vécu 19 ans dans un corps de femme. Au cours de ma transition, j’ai ressenti le besoin d’adopter les codes de la masculinité en me musclant. J’ai dû m’habituer et m’affirmer en tant qu’égal ». Depuis sa transition, il constate que son rapport à l’espace public a profondément changé. « Aujourd’hui, j’ai 27 ans et je n’ai jamais été autant frappé par le sexisme qu’après ma transition. Pourquoi ? Parce que désormais j’ai accès à davantage de choses dans la société. Par exemple, je peux marcher dans la rue sans m’inquiéter. Je constate également qu’il m’est aussi beaucoup plus facile d’accéder à un logement ou à un emploi ».
Domination et sentiment de légitimité
Les codes de la masculinité ne passent pas uniquement par le corps. « Lorsque j’ai quitté le quartier, je me suis très vite rendu compte que le rapport au corps était différent. Dans les classes aisées, les hommes ne misent pas sur le corps mais sur d’autres attributs pour asseoir leur domination. Par exemple, la culture est mise au service de la domination de l’autre. Cette domination est également très souvent économique », analyse Sikou Niakaté. Léon Salin expérimente désormais un « sentiment de légitimité incroyable ». Il explique : « je constate à quel point les hommes ont pour habitude de se sentir supérieurs aux femmes. Depuis ma transition, je suis davantage écouté. Il peut m’arriver, par exemple, de couper la parole à une femme et dans ce cas, personne ne me reprend.
Prise de conscience
En entreprise, dans les réseaux LGBTQI+, les hommes alliés restent rares. Néanmoins, ils existent. Tous expliquent leur besoin de s’engager par une histoire personnelle. « Mon oncle est décédé du SIDA sans avoir pu dire qu’il était homosexuel. Je me suis rendu compte que l’ignorance des personnes non LGBT pouvait impacter la vie des personnes LGBT », explique Simon de Forni, Engagement Manager au sein du cabinet de conseil Oliver Wyman. Même constat pour Vincent Perrotin, Chief Sustainability Officer, FDJ United. « J’ai grandi avec un frère atteint de handicap. C’est sans conteste l’une des matrices de mon engagement ».
Arnaud Dars, Engineering Director for Vibrancy, leboncoin, a pour sa part pris conscience de ses privilèges plus tardivement. Grâce à des lectures. « À l’âge de 35 ans, j’ai lu dans Slate des témoignages de femmes et de personnes Queer. Je me suis alors rendu compte qu’en ma qualité d’homme blanc, cis, hétéro et bourgeois, j’ignorais complétement ce que vivait la moitié de l’humanité ». Une prise de conscience qui l’a amené à agir. « J’essaye de continuer à douter de moi. Chaque mois, j’apprends quelque chose qui me questionne et me remet en question. J’essaye par ailleurs d’avoir le comportement le plus exemplaire possible, en parlant en non genré par exemple. Enfin, mon poste me donne la possibilité de dégager des moyens pour soutenir les ERG », explique-t-il. Dans ses fonctions, Vincent Perrotin a lui aussi les moyens de soutenir les initiatives en faveur de la diversité. « Je me suis battu pour avoir la D&I dans mon périmètre partagé avec les ressources humaines. Je suis également un collaborateur comme les autres et je me dois de montrer l’exemple… en prenant par exemple un congé parental ».
Lâcheté masculine
Reste qu’au-delà des petites actions, le chemin à parcourir semble encore long. « Une des raisons qui explique que les hommes ne s’engagent pas en faveur des personnes LGBTQI + est la peur de l’assimilation. Je fais le même constat concernant les causes féministes, beaucoup d’hommes considèrent que cela ne les concerne pas », constate Simon de Forni. Et pourtant leur rôle est essentiel. C’est une triste réalité mais un homme aura tendance à accorder davantage de crédit à la parole d’un autre homme qu’à celle d’une femme.
« Je suis assez dur envers les hommes et je pense que nous sommes finalement très lâches. Il n’y a pas grand-chose à faire et nous ne le faisons pas. Nous nous devons de faire notre propre autocritique. Ce n’est pas parce que nous n’avons pas toujours été irréprochables que nous ne devons rien faire. Au contraire, c’est une des raisons pour lesquelles nous devons nous mobiliser », conclut Arnaud Dars.